NOUS, le RADEAU
WE, the LUST
Philharmonie de Paris
les 6 et 7 décembre 2024 à 20h
Inspiré par le tableau de Théodore Géricault, Le Radeau de la Méduse,cette performance multidimensionnelle explore l’essence de la survie humaine.
NOUS, le RADEAU entraîne le public dans un voyage tumultueux à bord d’un radeau naviguant sur des vagues de désir — un courant puissant de folie et d’envie, de perte et d’euphorie, de souffrance et d’exaltation.
Passant de crescendos chaotiques à un noyau ardent, les chorégraphes Emio Greco et Pieter C. Scholten, avec le compositeur Franck Krawczyk, plongent dans les complexités de l’existence humaine.
Emio Greco et Pieter C.Scholten , conception, chorégraphie
Franck Krawczyk , composition, adaptation musicale
Sonia Wieder-Atherton, violoncelle
Wilhem Latchoumia , piano
Carjez Gerretsen, clarinette
Boucan (Benjamin Munier, basse et Raphaël Aboulker, batterie)
Ensemble vocal du Conservatoire à rayonnement départemental de Pantin
Chœur de la Philharmonie du COGE
Ensemble vocal du COGE
Chœur A Piacere
Antoine Bretonnière , chef de chœur
Danseurs de la compagnie ICK Dans Amsterdam
Franck Krawczyk et Le Radeau
Entretien mené par Olivia Lexa
Votre travail sur Nous, Le Radeau/ We, The Lust, portant sur l’histoire vraie du naufrage de la frégate Méduse en 1816, qui a inspiré sa célèbre toile à Géricault, vous a réservé une surprise. Pouvez-vous nous en parler ?
Lorsque j’ai commencé à travailler sur le projet, j’en ai parlé devant ma classe au Conservatoire et un étudiant corniste, Marin Duvernois, s’est mis à rougir. Il m’a dit : « Je suis un descendant d’un des survivants, JosephJean Baptiste Griffon du Bellay ». Il avait en sa possession des documents inédits au sujet du naufrage et sa tante Clarisse Griffon du Bellay a publié un ouvrage sur leur ancêtre, intitulé Ressacs, que je me suis empressé de lire. Dans ma partition pour Nous,Le Radeau/ We, The Lust, j’ai composé un solo de cor des alpes en pensant à mon étudiant. Cette coïncidence m’a ouvert les yeux sur le fait que la transmission se fait aussi par le hasard, pas simplement par les mots, et qu’il n’existe jamais une seule version des faits, inscrite telle quelle, à jamais. Au centre de notre spectacle, le narratif repose sur une multiplication des récits.
En quoi la thématique du Radeau de la Méduse résonne-t-elle avec votre travail de compositeur ?
On sait que parmi les rescapés du radeau de la Méduse, figuraient toutes sortes de personnes, de différentes origines et catégories sociales, parlant plusieurs langues. A un moment donné, tout cela a dû faire corps, faire société. Hétéroclite, la constitution du radeau est un monde qu’on ne choisit pas. Je travaille depuis longtemps avec des migrants, des enfants et adultes handicapés, a priori hors de mon champ de travail. Je me suis toujours posé une question : comment perçoivent-ils ma musique ? comment vais-je percevoir la leur ? Depuis des années, je voulais réunir pour un projet exigeant des chanteurs amateurs dans un grand chœur mixte. C’est le cas ici : les deux chœurs amateurs dirigés par Antoine Bretonnière (de 20 à 77 ans) sont le reflet du public. Par ailleurs, dans Nous, Le Radeau/ We, The Lust, nous avons aussi la chance d’avoir trois solistes internationaux, trois personnalités hors-normes, et un duo de rock. On crée donc un choc des cultures musicales. Et puis il y a la rencontre avec les danseurs, qui ne dansent pas la musique mais interagissent avec elle grâce à l’IA – j’y reviendrai. Bref, sur notre Radeau ont embarqué différents types de musique : électronique, acoustique, rock, classique, improvisation… Nous sommes également en présence d’univers sociologiques variés, de différentes générations, de traditions orales et de traditions écrites parmi les chanteurs… Ce monde reconstitué m’intéresse car, dans son principe de réaction immédiate, on découvre des solutions et des idées que l’on ne trouverait pas autrement.
En quoi le protocole singulier que vous avez mis en place pour l’écriture du spectacle influe-t-il sur les musiciens et sur les danseurs ?
Je vous donne un exemple. On demande au clarinettiste de jouer couché. Il va être obligé de changer son jeu. Si les danseurs viennent tirer ses membres, il va également devoir adapter son jeu. Si un danseur retire le bec de sa clarinette, il va être obligé de chanter. Si le danseur lui rend son bec mais retire les mains du musicien de son instrument afin d’en actionner lui-même les clefs, que se passe-t-il ? On part d’une situation musicale vers une situation improbable. C’est ce qui m’intéresse dans la survie sur le Radeau. On maintient un objectif mais on n’en a plus les moyens ; alors on se demande comment maintenir cet objectif. Le résultat est bouleversant car le musicien devra jouer la mélodie, quoi qu’il advienne. S’accrocher à la vie, c’est s’accrocher au chant. La confiance imposée conduit le musicien vers des zones inconnues. La question essentielle est celle de survivre pour transmettre.
Comment les pages que vous avez composées pour le spectacle prennent-elles place, parmi des œuvres de Michael Gordon, James Brown, Beethoven, Schütz, Bartók, Schönberg, Varèse, Brahms, Ligeti, Albinoni, Vivaldi, Purcell… ?
Je tente d’abandonner la question des compositeurs au profit de celle des œuvres. Les œuvres sont, depuis toujours, au centre d’un processus de réutilisation permanent. La Sonate au clair de lune de Beethoven, par exemple, est une forme de ralentissement du premier trio de la scène de la mort du Commandeur dans Don Giovanni de Mozart. Nulle part l’idée de plagiat n’est venue à l’esprit de Beethoven ; il avait cette musique en tête… Pour le Nous, Le Radeau/ We, The Lust, j’avais moi-même en tête la Treizième étude de Ligeti intitulée L’Escalier du diable, soumise au droit d’auteur. Ce qui a inspiré Ligeti dans cette pièce, ce sont les patterns du phénomène climatique El Niño qui lui ont fourni une équation mathématique lui permettant de construire son Etude. J’ai donc juste réutilisé les patterns d’El Niño qu’il avait utilisés. Je dois à Ligeti de l’avoir découvert mais, en même temps, ils ne lui appartiennent pas. Les œuvres me servent de pistes pour remonter à leurs sources afin d’explorer ces formes existantes, libérées de la notion d’auteur. Le point commun entre toutes les pièces que j’ai choisies, c’est une forme de radicalité correspondant à un moment historique où les compositeurs se sont replongés dans les racines pour chercher quelque chose d’inouï, qui n’a jamais été fait. Ils ne concèdent rien. Nous, Le Radeau/ We, The Lust est un projet radical qui répond à cette idée.
Quel est le rôle de l’intelligence artificielle dans la dimension musicale du spectacle ?
L’IA réinterroge tout le travail déjà mené par Xenakis, Varèse… Elle propose un nouveau rapport à la machine puisque c’est elle qui prend les décisions. Dans Nous, Le Radeau/ We, The Lust, elle agit en fonction des danseurs et crée une nouvelle partition issue du matériel préétabli qu’on lui a fourni. Cette nouvelle création est très intéressante ; (j’avoue que j’aurais bien aimé pouvoir l’imaginer). Le danseur porte une combinaison qui capte les informations venues de son sternum. L’IA modifie en direct la partition qui lui a été donnée en fonction des gestes du danseur. C’est donc le corps du danseur qui actionne le processus de composition musicale.
Quelle est la portée politique de votre travail sur Nous, Le Radeau/ We, The Lust ?
Ces dernières années, j’ai travaillé sur trois projets qui avaient une forte dimension politique, dans lesquels il était particulièrement intéressant d’observer à partir de quel moment on rencontrait un refus, une forme de censure. Le premier était sur le Pavillon français à l’Exposition Universelle de Dubaï en 2021 avec l’architecte Jean-Luc Perez. Je souhaitais enregistrer un chœur formé par les ouvriers indiens qui ont travaillé dans des conditions indignes sur les chantiers du site. Evidemment, les autorités locales ont refusé. Ils ne voulaient pas faire entendre leurs voix. Le deuxième projet était l’adaptation des hymnes pour la Coupe du monde de Rugbyen France/ 2023, qui a fait l’objet d’une polémique. J’avais transcrit les vingt hymnes des nations sélectionnées pour chœur d’enfants a cappella. 10.000 enfants ont été formés pour chanter avant les matches. Au dernier moment, Les instances supérieures ont opposé un refus catégorique. Motif : les enfants n’étaient pas autorisés à marcher sur les pelouses, considérées comme des lieux sacrés. Avec Nous, Le Radeau/ We, The Lust, les chorégraphes Pieter C. Scholten et Emio Greco, apportent une notion : le LUST (luxure, désir ultime, instinct de survie …), redéfinissant ce qui atteint une ligne morale. Qu’est-ce que le désir, lorsqu’il n’est plus circonscrit par une loi ? On sait par les témoignages que sur le radeau des naufragés de la Méduse, des lignes ont été franchies pour la survie : l’anthropophagie, l’euthanasie (on tuait des rescapés qui souffraient)… Dans ce projet, la Philharmonie de Paris essaie de ne pas imposer de limite. Nous essayons de pousser le curseur pour voir jusqu’à quelle extrémité la demande peut être dérangeante. La Philharmonie nous a simplement demandé de respecter une ligne assez naturelle : c’est un lieu de vie, un lieu de concert, destiné à tout public. Mon rôle est d’interroger ces termes pour savoir jusqu’où aller.